IEER | Énergie et Sécurité No. 31


Uranium enrichi : quelques points de repère pour un véritable débat sur la prolifération nucléaire et l’énergie nucléaire

Par Arjun Makhijani, Lois Chalmers et Brice Smith


Note de la rédaction : Les activités nucléaires de l’Iran, qui ont tout récemment fait la une des journaux, viennent rappeler l’importance de la question de l’enrichissement de l’uranium. Ce numéro d’Énergie et Sécurité vise à animer un véritable débat en proposant des informations et des analyses sur la situation et le processus de l’enrichissement de l’uranium.

Le présent article analyse la façon dont s’effectue l’enrichissement de l’uranium, les types de technologies d’enrichissement, et certains éléments historiques importants. Le tableau ci-dessous offre un résumé de la situation des installations d’enrichissement de l’uranium dans le monde. Testez vos connaissances sur l’enrichissement de l’uranium avec l’Énigme atomique.

Le contenu de cet article, du tableau et de l’énigme est issu de Uranium Enrichment : Just Plain Facts to Fuel an Informed Debate on Nuclear Proliferation and Nuclear Power (Uranium enrichi : quelques points de repère pour un véritable débat sur la prolifération nucléaire et l’énergie nucléaire), un rapport publié en octobre 2004 par l’IEER pour le compte du Nuclear Policy Research Institute. Les références sont précisées dans le rapport lui-même, qui peut être consulté sur le site web de l’IEER (www.ieer.org/reports/uranium/enrichment.pdf).

Les connaissances et les capacités nécessaires à l’enrichissement de l’uranium sont largement diffusées, que ce soit pour la production électronucléaire ou la fabrication d’armes nucléaires. À bien des égards, quand on en arrive aux techniques d’enrichissement, il est déjà trop tard. Il s’agit d’un problème particulièrement préoccupant au vu des propositions qui visent à un recours plus important à l’énergie nucléaire au cours des décennies à venir, dans le monde entier.

À titre d’exemple, pour alimenter un millier de centrales nucléaires de 1000 mégawatts (un scénario fréquemment repris dans de nombreux scénarios de croissance du nucléaire), il faudrait disposer d’une capacité d’enrichissement de l’uranium environ neuf à dix fois supérieure à celle actuellement en exploitation aux Etats-Unis. Si seulement un pour cent de cette capacité était utilisé à la fabrication d’uranium hautement enrichi (UHE), la quantité d’UHE produite chaque année permettrait d’obtenir entre 175 et 310 armes nucléaires. Un essor de l’énergie nucléaire s’accompagnerait d’une augmentation du commerce des matériaux spécialisés nécessaires à la construction et à l’exploitation des installations de centrifugation et d’autres usines d’enrichissement, et il deviendrait de plus en plus difficile de distinguer entre les ventes illicites et les détournements des technologies réputées « pacifiques ».

Il est important de se préoccuper des pays qui développent actuellement des initiatives pouvant contribuer à un programme nucléaire militaire (comme l’Iran). Mais il est tout aussi essentiel de garder à l’esprit que les technologies d’enrichissement de l’uranium sont maintenant très répandues, et que les risques ne feraient que s’accroître si cette technologie devenait libre de se développer partout dans le monde pour accompagner un recours accru à l’énergie nucléaire. En d’autres termes, nous serions bien avisés de ne pas négliger les pays qui disposent actuellement de programmes nucléaires civils et militaires avancés, leur important potentiel proliférateur, et leur bilan très peu glorieux en ce domaine.1 Les cinq pays dotés d’armes nucléaires qui sont parties au Traité de non-prolifération (TNP) – les États-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, la France et la Chine – disposent d’usines d’enrichissement qui ont été utilisées pour produire de l’UHE militaire. Ces cinq pays possèdent aussi d’importantes installations d’enrichissement d’uranium, qui ont été utilisées pour la production d’uranium faiblement enrichi (UFE) destiné à alimenter les réacteurs commerciaux.

En dehors de ces cinq États, seuls trois pays possèdent des installations d’enrichissement d’uranium qui ont été utilisées pour produire des quantités importantes de combustible nucléaire civil. De nombreux autres pays, toutefois, ont réalisé des travaux sur les technologies d’enrichissement, et l’on pense que certains ont pu utiliser leurs capacités d’enrichissement à des fins militaires. Le tableau ci-dessous offre une synthèse des informations actuellement disponibles sur la situation des installations d’enrichissement de l’uranium dans le monde.

Le Pakistan, l’un des pays connus pour avoir produit des armes nucléaires hors du TNP (traité dont il n’est pas signataire), possède des installations qui ont fourni de l’UHE pour des applications militaires. On sait également que l’Afrique du Sud a fabriqué des armes nucléaires avec l’uranium enrichi issu de ses propres installations. En revanche, l’Inde et Israël ont fabriqué des armes nucléaires à partir du plutonium 239 (qui se forme dans les réacteurs nucléaires lorsque l’uranium 238 non fissile capture un neutron à basse énergie). On soupçonne souvent la Corée du Nord, qui s’est retirée du TNP en janvier 2003 sans respecter la notification de trois mois requise par le traité, d’avoir produit un petit nombre d’armes nucléaires avec du plutonium. On continue de s’interroger sur l’éventualité d’un programme parallèle d’enrichissement de l’uranium dans ce pays.

l’uranium

Un seul élément existant à l’état naturel a été utilisé comme matière première pour les bombes atomiques : l’uranium, de symbole chimique U.2 Cet élément présente une propriété importante pour les armes atomiques et l’énergie nucléaire : sa capacité de fission, c'est-à-dire de division en deux fragments plus légers quand il est bombardé par des neutrons. Ce processus donne lieu à un dégagement d’énergie.

l’uranium naturel (c.à.d. celui qui est extrait d’une mine) se présente sous forme d’un mélange de trois isotopes différents, c'est-à-dire d’atomes de poids atomiques différents, qui possèdent des propriétés chimiques quasiment identiques mais diffèrent par leurs propriétés nucléaires. Ces isotopes sont l’uranium 234, l’uranium 235 et l’uranium 238. l’uranium 234, présent à l’état de traces dans l’uranium naturel, est un composant très radioactif. l’uranium 235 est la seule matière fissile qui se trouve en quantités importantes dans la nature. l’uranium 238 est l’isotope le plus abondant (99,284 pour cent du poids d’un échantillon d’uranium naturel est constitué d’U-238), mais il n’est pas fissile. l’U-238 peut néanmoins être fissionné par des neutrons à haute énergie, ce qui entraîne un très grand dégagement d’énergie. Il est donc souvent utilisé pour renforcer la puissance explosive des bombes thermonucléaires (à hydrogène).

Le tableau ci-après présente certaines caractéristiques des trois isotopes qui se trouvent dans l’uranium naturel. Dans la mesure où l’U-234 ne représente qu’une proportion minuscule de la masse de l’uranium naturel, et où il ne sert à aucune application importante, cet article portera presque exclusivement sur les deux autres isotopes de l’uranium, U-235 et U-238.

Tableau 1 : Les isotopes de l’uranium

Isotope Pourcentage de l’uranium naturel (en masse) Pourcentage de l’uranium naturel (en radioactivité) Demi-vie
Uranium 238 (U-238) 99,284  47,9 4,46 milliards d’années
Uranium 235 (U-235) 0,711  2,3  704 millions d’années
Uranium 234 (U-234) 0,0055  49,8  245 000 ans

Du fait de la présence de petites quantités d’U-235, l’uranium naturel peut entretenir une réaction en chaîne dans certaines conditions, et peut donc être utilisé comme combustible dans certains types de réacteurs (réacteurs modérés au graphite et à eau lourde3, ces derniers étant vendus par le Canada). Pour le type de réacteur le plus répandu dans le monde aujourd’hui (le réacteur à eau légère), qui utilise de l’eau ordinaire comme caloporteur et comme modérateur, la proportion d’U-235 dans le combustible doit dépasser les 0,7 pour cent d’uranium naturel pour entretenir une réaction en chaîne.

l’ensemble des procédés industriels utilisés pour accroître le pourcentage d’U-235 dans une quantité donnée d’uranium est placé dans la catégorie générale d’ « enrichissement de l’uranium », le terme « enrichissement » renvoyant à l’augmentation du pourcentage de l’isotope fissile U-235. Les réacteurs à eau légère utilisent généralement de l’uranium enrichi entre 3 et 5 pour cent, c'est-à-dire que la proportion d’U-235 dans le combustible varie de 3 à 5 pour cent, la quasi-totalité du reste étant de l’U-238. Un matériau présentant ce niveau d’U-235 est appelé « uranium faiblement enrichi » (UFE).

Il est impossible de fabriquer des bombes atomiques à partir d’uranium naturel ou faiblement enrichi. La proportion d’U-235 est tout simplement trop faible pour permettre à une réaction en chaîne « surcritique » de se développer pendant une durée suffisamment brève pour créer une explosion. l’uranium doit contenir un minimum d’environ 20 pour cent d’U-235 pour pouvoir servir à la fabrication d’une bombe atomique. Toutefois, une bombe fabriquée avec de l’uranium à ce taux d’enrichissement minimum serait trop massive pour être transportée, dans la mesure où elle nécessiterait de grandes quantités d’uranium et des quantités encore plus grandes d’explosifs conventionnels pour obtenir une compression jusqu’au niveau d’une masse supercritique.

Dans la pratique, on a utilisé de l’uranium contenant au moins 90 pour cent d’U-235 pour fabriquer des armes nucléaires. A ce niveau d’enrichissement l’uranium est appelé uranium hautement enrichi (UHE). La bombe qui a détruit Hiroshima le 6 août 1945 contenait environ 60 kilogrammes d’UHE. l’uranium hautement enrichi est également utilisé dans des réacteurs de recherche et des réacteurs navals du type de ceux qui assurent la propulsion des porte-avions et des sous-marins. On considère que le combustible UHE destiné aux réacteurs de recherche est particulièrement vulnérable aux détournements à des fins militaires, dans la mesure où il est généralement moins bien surveillé et souvent situé dans des villes ou des campus universitaires. À la différence du combustible irradié en réacteur, donc très radioactif, l’UHE non irradié ne constitue pas un obstacle au détournement.

Le même procédé et les mêmes installations peuvent être utilisées pour enrichir l’uranium à destination des réacteurs civils à eaux légères (c.à.d pour fabriquer de l’UFE) et pour préparer l’UHE servant aux bombes nucléaires. Par conséquent, toutes les technologies d’enrichissement de l’uranium sont autant de sources potentielles de prolifération des armes atomiques. En outre, certaines méthodes d’enrichissement de l’uranium sont plus difficiles à détecter que d’autres, ce qui vient renforcer la crainte d’éventuels programmes clandestins.

l’enrichissement de l’uranium

Puisque tous les isotopes de l’uranium ont quasiment les mêmes propriétés chimiques, il faut se servir de la différence de poids atomique entre les isotopes (représentés par les nombres 234, 235 et 238 qui leur sont accolés) pour augmenter la proportion d’uranium 235 dans un échantillon donné. l’U-238 est légèrement plus lourd que l’U-235 (d’environ 1%). Quand l’uranium est sous forme gazeuse, les molécules contenant l’U-235 plus léger ont en moyenne une vitesse supérieure (à une température donnée) à celle des molécules plus lourdes qui contiennent de l’U-238.

Au cours du processus d’enrichissement habituel, un flux d’uranium naturel, auparavant converti en un gaz contenant à la fois de l’U-235 et de l’U-238, est partagé en deux flux en tirant parti de la légère différence de masse entre les deux isotopes. l’un des deux flux est plus riche en U-235 (le flux d’uranium « enrichi »), alors que l’autre est plus pauvre en U-235 (le flux d’uranium « appauvri », le terme appauvri renvoyant à un pourcentage plus faible d’U-235 par rapport à l’uranium naturel). Des informations plus précises sur les procédés d’enrichissement sont analysées plus loin, dans la partie intitulée « Technologies d’enrichissement ».4

La capacité d’une usine d’enrichissement de l’uranium à augmenter le pourcentage d’U-235 est formulée en Unités de travail de séparation (UTS). Les installations de production industrielle ont en général des capacités qui vont de quelques centaines de milliers à plusieurs millions d’UTS (MUTS) par an. l’Unité de travail de séparation est une unité complexe qui dépend à la fois du pourcentage d’U-235 souhaité dans le flux d’uranium enrichi et de la quantité d’U-235 présente dans le flux entrant qui se retrouve dans le flux d’uranium appauvri. On peut voir l’UTS comme l’effort nécessaire pour parvenir à un niveau d’enrichissement donné. Plus on cherche à réduire la quantité de l’U-235 du flux entrant qui aboutit dans l’uranium appauvri, plus il faut d’UTS pour parvenir au niveau d’enrichissement visé.5

Le nombre d’UTS fournies par une usine d’enrichissement est en rapport direct avec la quantité d’énergie consommée par cette installation. Les deux plus importantes technologies d’enrichissement utilisées aujourd’hui (qui sont décrites plus précisément ci-dessous) ont des besoins énergétiques très différents. Les usines de diffusion gazeuse modernes exigent généralement entre 2 400 et 2 500 kilowatts-heure (kWh) d’électricité par UTS, alors que les usines à centrifugation gazeuse n’ont besoin que de 50 à 60 kWh par UTS.

Environ 100 000 à 120 000 UTS de services d’enrichissement sont nécessaires chaque année à l’alimentation en uranium enrichi d’un réacteur à eau légère typique d’une capacité de 1000 mégawatts électriques. Si cet enrichissement était fourni par une usine de diffusion gazeuse (par exemple du type de celle actuellement exploitée aux Etats-Unis à Paducah, dans le Kentucky), le processus d’enrichissement consommerait approximativement entre 3 et 4 pour cent de l’électricité produite par le réacteur.6 En revanche, si le combustible à l’uranium était enrichi dans des usines à centrifugation gazeuse (comme c'est le cas actuellement dans de nombreuses régions du monde), le processus d’enrichissement consommerait moins de 0,1 pour cent de l’électricité générée par la centrale au cours de l’année.

Outre les UTS, un autre paramètre important à prendre en compte est la masse d’uranium naturel nécessaire pour obtenir la masse d’uranium enrichi désirée. Comme pour le nombre d’UTS, la quantité de matière première nécessaire dépendra aussi du niveau d’enrichissement souhaité et de la quantité d’U-235 qui se retrouvera au final dans l’uranium appauvri. La quantité d’uranium naturel nécessaire diminuera parallèlement à la diminution des teneurs en U-235 tolérées dans l’uranium appauvri à l’arrivée.

Par exemple, pour l’enrichissement d’UFE utilisé dans un réacteur à eau légère, il est habituel d’avoir un flux enrichi qui contient en fin de compte 3,6 pour cent d’U-235 (à comparer à 0,71 pour cent dans l’uranium naturel) et un flux appauvri contenant de 0,2 à 0,3 pour cent d’U-235. Pour produire un kilogramme de cet UFE, il faudra approximativement 8 kilogrammes d’uranium naturel et 4,5 UTS si on tolère une teneur de 0,3 pour cent d’U-235 dans le flux d’uranium appauvri. En revanche, si le flux d’uranium appauvri ne contient que 0,2 pour cent d’U-235, il suffit de 6,7 kilogrammes d’uranium naturel, mais il faut environ 5,7 UTS.

Pour produire un kilogramme d’uranium hautement enrichi (c.à.d. contenant 90 pour cent d’U-235), il faudrait plus de 193 UTS, et près de 219 kilogrammes d’uranium naturel si l’uranium appauvri contient 0,3 pour cent d’U-235. Il faudrait près de 228 UTS et plus de 176 kilogrammes d’uranium naturel si le flux d’uranium appauvri contenait 0,2 pour cent d’U-235.

Le tableau 2 résume les consommations (uranium naturel et services d’enrichissement) qui seraient nécessaires pour produire un kilogramme d’UFE et un kilogramme d’UHE dans des scénarios avec 0,2 ou 0,3 pour cent d’U-235 dans le flux d’uranium appauvri.

Dans la mesure où la quantité d’uranium naturel et le nombre d’UTS nécessaires évoluent en sens contraire pendant l’enrichissement, pour un niveau d’enrichissement donné, si l’uranium naturel est bon marché et les services d’enrichissement sont relativement plus coûteux, les exploitants choisissent généralement une « perte » plus importante d’U-235 dans le flux d’uranium appauvri (c.à.d qu’ils choisiront d’utiliser plus d’uranium naturel et moins d’UTS). En revanche, si l’uranium naturel est relativement plus coûteux et l’enrichissement l’est moins, ils feront le choix inverse.

Tableau 2 : Consommations nécessaires à la production d’un kilogramme d’uranium enrichi et d’un kilogramme d’uranium hautement enrichi

  Uranium faiblement enrichi (UFE) Uranium hautement enrichi (UHE)
Uranium naturel Services d’enrichissement  Uranium naturel Services d’enrichissement
Cas où le flux d’uranium appauvri contient 0,3 pour cent d’U-235 8,2 kg 4,5 UTS  219 kg  193 UTS
Cas où le flux d’uranium appauvri contient 0,2 pour cent d’U-235 6,7 kg 5.7 UTS  176 kg  228 UTS

UFE = uranium contenant 3,6 pour cent d’U-235, du type de celui utilisé dans un réacteur à eau légère.
UHE = uranium contenant 90 pour cent d’U-235, du type de celui utilisé dans une arme nucléaire.
UTS = Unités de travail de séparation
kg = kilogrammes

Pour enrichir suffisamment d’uranium pour fabriquer une bombe comme celle larguée par les Etats-Unis sur Hiroshima (environ 60 kg d’UHE), il faudrait entre 10,6 et 13,1 tonnes d’uranium naturel et 11 600 à 13 700 UTS d’enrichissement. Des modèles d’armes nucléaires plus sophistiqués permettraient toutefois d’utiliser largement moins de la moitié de cette quantité ; des bombes à l’uranium modernes n’exigent généralement que 20 à 25 kilogrammes d’UHE.

Si, au lieu de commencer avec de l’uranium naturel, de l’uranium faiblement enrichi (3,6 pour cent d’U-235) est utilisé comme matériau de base pour la fabrication de l’UHE, il ne faut alors qu’entre 70 et 78 UTS et 26 à 27 kilogrammes de matière première pour produire un kilogramme d’uranium hautement enrichi. C'est-à-dire qu’il suffit de 1,6 tonne d’UFE (moins d’un dixième de la quantité nécessaire à l’alimentation annuelle en combustible d’un seul réacteur de 1000 mégawatts) pour obtenir l’UHE nécessaire à l’assemblage d’une bombe du type de celle d’Hiroshima. Ainsi, comme l’indique ce graphique, environ les deux tiers de la totalité des services d’enrichissement nécessaires à la production de l’UHE de qualité militaire servent à l’enrichissement de l’uranium naturel (0,7 pour cent d’U-235) en UFE (3,6 pour cent d’U-235), et seul un tiers sert à enrichir l’UFE en UHE (90 pour cent d’U-235)

Ainsi, si elles sont maintenues sous une forme qui se prête à l’enrichissement (c.à.d sous forme d’hexafluorure d’uranium), des réserves d’uranium faiblement enrichi peuvent donc servir de matière première pour fabriquer plus facilement et plus rapidement de l’uranium hautement enrichi utilisable dans des armes nucléaires. C'est l’un des principaux risques de prolifération lié à la diffusion des technologies d’enrichissement dans le cadre de l’expansion de l’énergie nucléaire.

Services d’enrichissement nécessaires à la production d’uranium hautement enrichi à partir d’uranium naturel

67 pour cent des services d’enrichissement  100 pour cent des services d’enrichissement
Uranium naturel ==> UFE  UFE ==> UHE
/\
||

/\
||

Deux tiers de la totalité des services d’enrichissement nécessaires à la production de l’uranium hautement enrichi (UHE) de qualité militaire servent à l’enrichissement de l’uranium naturel (0,7 pour cent d’U-235) en uranium faiblement enrichi (UFE, 3,6 pour cent d’U-235)  Environ un tiers sert à enrichir l’UFE en UHE (90 pour cent d’U-235)

Technologies d’enrichissement

Quatre technologies ont été utilisées à grande échelle pour l’enrichissement de l’uranium. Trois d’entre elles – la diffusion gazeuse, la centrifugation gazeuse, et la séparation aérodynamique/séparation par tuyère – sont basées sur la conversion de l’uranium en hexafluorure d’uranium (UF6) gazeux. La quatrième technique, la séparation électromagnétique, est basée sur l’utilisation d’uranium gazeux ionisé, obtenu à partir de tétrachlorure d’uranium solide (UCl4).

Diffusion gazeuse

Le procédé par diffusion gazeuse a été utilisé pour enrichir la quasi-totalité de l’uranium faiblement ou hautement enrichi qui a été produit aux Etats-Unis. Il a d’abord été mis au point dans les années 1940, dans le cadre du Projet Manhattan, et a été utilisé, en partie, pour enrichir l’uranium utilisé dans la bombe larguée sur Hiroshima. Les cinq puissances nucléaires reconnues dans le cadre du régime du Traité de Non-Prolifération (TNP) ont exploité des usines de diffusion gazeuse à un moment ou un autre, mais seuls les Etats-Unis et la France poursuivent l’exploitation de telles installations. Le procédé par diffusion nécessite de faire passer de l’uranium sous forme gazeuse à travers un très grand nombre de parois poreuses (barrières de diffusion) et exige beaucoup d’énergie.

Pour mettre l’uranium sous une forme gazeuse utilisable dans le processus de diffusion, l’uranium naturel est converti en hexafluorure d’uranium (UF6). Les molécules d’hexafluorure d’uranium contenant des atomes d’U-235, étant légèrement plus légers, diffusent à travers chaque barrière à un taux légèrement supérieur à celui des molécules qui contiennent des atomes d’U-238. Une simple analogie, pour visualiser ce procédé, consiste à imaginer que l’on souffle du sable à travers une série de tamis. Les grains de sable plus petits passent de façon préférentielle à travers chaque tamis, et ainsi, après chaque « étage », ils représentent un pourcentage du total légèrement supérieur à ce qu’il était avant le passage à travers ce module. Une représentation schématique d’un tel étage d’usine de diffusion gazeuse est indiquée à la Figure 1.

Figure 1 : Schéma d’un module unique d’une usine de diffusion gazeuse. Les couleurs les plus sombres représentent les molécules d’UF6 qui contiennent les atomes d’U-238, plus lourds, tandis que les couleurs les plus claires représentent les molécules gazeuses qui contiennent l’U-235, plus léger. Après chaque étage, le gaz qui se déplace vers le côté de la barrière où la pression est plus faible (c'est-à-dire en aval) a un pourcentage d’U-235 légèrement supérieur par rapport à l’étage précédent. (Illustration à partir d’un diagramme utilisé avec l’aimable autorisation de l’USEC, www.usec.com/v2001_02/HTML/Aboutusec_enrichment.asp)

La différence de masse, et donc de vitesse, entre les molécules d’UF6 contenant de l’U-235 ou de l’U-238 est très faible, et des milliers d’étages de ce type sont donc nécessaires à l’enrichissement civil ou militaire de quantités importantes d’uranium. Dans une usine de diffusion gazeuse, les étages sont disposés en « cascades », qui permettent à chaque étage de tirer avantage de l’enrichissement obtenu par les précédents, et également d’utiliser plus efficacement le flux d’uranium appauvri. Pour donner une idée de l’échelle, on rappellera que lorsque l’usine de diffusion gazeuse d’Oak Ridge, au Tennessee, a été construite, au début des années 1940, elle était le plus grand bâtiment industriel du monde. Deux des diffuseurs utilisés dans le processus d’enrichissement sont représentés sur la figure 2

Figure 2 : Une photo en gros plan de l’extérieur de deux des étages de diffusion utilisés dans l’usine d’enrichissement d’uranium d’Oak Ridge. (Photo de Frank Hoffmann/Département de l’Energie. Extrait de Darrell D. Ebbing et Steven D. Gammon, « General Chemistry » 6e éd. (Boston : Houghton Mifflin, 1999), p. 215.)

l’étape la plus délicate dans la construction d’une usine de diffusion gazeuse est la fabrication des barrières perméables nécessaires aux étages de diffusion. Les barrières doivent être faites d’un matériau très durable et capable de conserver un diamètre de pores constant pendant plusieurs années de d’exploitation. Cet aspect est particulièrement délicat, étant donné la nature extrêmement corrosive de l’hexafluorure d’uranium gazeux. Les barrières ne font généralement que 5 millimètres d’épaisseur et leurs ouvertures ne représentent qu’environ 30 à 300 fois le diamètre d’un seul atome d’uranium.

Outre qu’ils exigent de grandes quantités d’électricité pour leur fonctionnement, les compresseurs des installations de diffusion gazeuse dégagent également une chaleur importante qui doit être dissipée. Dans les usines américaines, la dissipation de cette chaleur est assurée par l’utilisation de chorofluorocarbones (CFC) destructeurs de la couche d’ozone, comme le CFC-114 (un fluide réfrigérant souvent appelé simplement fréon ou fréon-114). La fabrication, l’importation et l’utilisation des CFC a été considérablement restreinte par le Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone, de 1987, que les Etats-Unis ont mis en œuvre à travers les amendements de 1990 de la Loi sur l’air (Clean Air Act).

Grâce à ces engagements, la fabrication du fréon aux Etats-Unis a pris fin en 1995 et les émissions atmosphériques issues des grands utilisateurs aux Etats-Unis ont chuté de près de 60 pour cent entre 1991 et 2002. Néanmoins, les émissions de l’usine de diffusion gazeuse de Paducah sont restées pratiquement constantes sur cette période, ne diminuant que de 7 pour cent entre 1989 et 2002. En 2002, l’usine d’enrichissement de Paducah a rejeté dans l’air plus de 197,3 tonnes de fréon, par des fuites des tuyauteries et d’autres équipements. Cette seule installation parmi les grands utilisateurs des Etats-Unis a été à elle seule responsable en 2002 de plus de 55 pour cent de l’ensemble des rejets atmosphériques de ce CFC.

Du fait de l’absence de nouvelle fabrication de fréon depuis 1995, l’USEC (US Enrichment Corporation)7 cherche actuellement à utiliser un réfrigérant non-CFC. Les produits de remplacement éventuels se caractérisent toujours par une capacité de piégeage de la chaleur, et même s’ils présentent un danger moindre pour la couche d’ozone, ils restent néanmoins un problème potentiel du point de vue du réchauffement et du changement climatique.

La signature thermique élevée des usines de diffusion gazeuse rend possible la détection des installations dont la production dépasse nettement 100 000 UTS par an. Néanmoins, cette information risque de n’avoir de sens que pour l’identification de l’exploitation d’usines connues, et non pour découvrir des installations clandestines, dans la mesure où de nombreux procédés industriels dégagent une grande quantité de chaleur. Ainsi, même si les usines de diffusion gazeuse figurent peut-être parmi les types d’installations d’enrichissement de l’uranium les plus difficiles à cacher étant donné leur taille, leurs besoins en électricité et leur signature thermique, il serait pourtant difficile d’identifier à distance une installation sans accès à un échantillonnage de l’environnement de la zone alentour (par ex. échantillons de sol) qui pourrait révéler de manière concluante la présence d’uranium enrichi.

Centrifugation gazeuse

Au niveau mondial, la centrifugation gazeuse est la technologie la plus couramment utilisée aujourd’hui pour enrichir l’uranium. Cette technologie a été envisagée par les États-Unis au moment du Projet Manhattan, mais ce sont la diffusion gazeuse et à la séparation électromagnétique pour la production à grande échelle qui ont été choisies. La centrifugation a été plus tard développée en Russie par une équipe conduite par des chercheurs autrichiens et allemands faits prisonniers pendant la seconde guerre mondiale. Le dirigeant du groupe d’expérimentation en Russie, une fois libéré, a d’abord importé la technologie de centrifugation aux Etats-Unis, puis en Europe, où il a cherché à développer son utilisation pour l’enrichissement du combustible nucléaire civil.

La centrifugation est une technologie courante, utilisée fréquemment dans des applications très diverses, comme la séparation du plasma sanguin et des globules rouges plus lourds. Le cycle d’essorage d’une machine à laver fonctionne sur le principe de la centrifugation. Dans le processus d’enrichissement de l’uranium, des cylindres en rotation rapide sont alimentés avec de l’hexafluorure d’uranium gazeux. Pour parvenir à un enrichissement aussi important que possible à chaque étage, les centrifugeuses modernes peuvent tourner à des vitesses approchant la vitesse du son. C'est cette caractéristique qui rend difficile la maîtrise du procédé par centrifugation, dans la mesure où la vitesse de révolution élevée exige une centrifugeuse robuste, presque parfaitement équilibrée, et capable de fonctionner de cette manière pendant de nombreuses années sans interruption pour la maintenance.

À l’intérieur de la centrifugeuse en rotation, les molécules les plus lourdes qui contiennent des atomes d’U-238 se déplacent préférentiellement vers l’extérieur du cylindre, alors que les molécules les plus légères qui contiennent l’U-235 restent plus proches de l’axe central. Le gaz contenu à l’intérieur de ce cylindre est ensuite amené à circuler de bas en haut, entraînant l’uranium appauvri près de la paroi extérieure vers le haut, alors que le gaz enrichi en U-235 près du centre est entraîné vers le bas. Ces deux flux (un enrichi et un appauvri) peuvent ensuite être extraits de la centrifugeuse et servir à alimenter les étages voisins pour former une cascade, exactement de la manière décrite pour les diffuseurs dans les usines de diffusion gazeuse. Une illustration schématique d’une telle centrifugeuse est représentée sur la Figure 3.

Figure 3 : Coupe transversale schématique d’une seule centrifugeuse à gaz. Le cylindre en rotation oblige les atomes d’U-238 plus lourds à se diriger vers l’extérieur de la centrifugeuse en laissant les atomes d’U-235 plus légers vers le centre. Un courant de bas en haut permet de séparer le flux enrichi du flux appauvri et de les envoyer par des tuyauteries aux modules suivants. (Illustration à partir d’un diagramme utilisé avec l’aimable autorisation de la Société nucléaire européenne, www.euronuclear.org/info/encyclopedia/g/gascentrifuge.htm)

Tout comme le procédé par diffusion gazeuse, l’enrichissement de l’uranium par centrifugeuse à gaz exige des milliers, voire des dizaines de milliers de modules, pour enrichir des quantités importantes d’uranium à des taux civils ou militaires. En outre, tout comme les usines de diffusion gazeuse, les usines de centrifugation exigent l’utilisation de matériaux spéciaux pour empêcher la corrosion par l’hexafluorure d’uranium, qui peut réagir avec l’humidité pour former un gaz d’acide fluorhydrique fortement corrosif. l’un des grands avantages de la centrifugation par rapport au procédé par diffusion gazeuse est qu’elle demande entre 40 et 50 fois moins d’énergie pour parvenir au même taux d’enrichissement. l’utilisation de centrifugeuses réduit également la quantité de chaleur générée lors de la compression de l’UF6 gazeux, ce qui réduit donc la quantité de réfrigérant nécessaire, comme par exemple le fréon.

Même si la capacité de séparation est supérieure dans chaque étage, comparée au procédé par diffusion gazeuse, la quantité d’uranium qui peut transiter à travers chaque module de centrifugation en un temps donné est généralement bien plus faible. Des centrifugeuses modernes normales peuvent fournir approximativement 2 à 4 UTS par an. Pour enrichir suffisamment d’UHE en une année pour fabriquer une arme nucléaire du type de celle qui a été larguée sur Hiroshima, il faudrait donc entre 3 000 et 7 000 centrifugeuses. Une telle installation consommerait entre 580 000 et 816 000 kWh d’électricité, qui pourraient être fournis par une centrale d’une puissance inférieure à 100 kW. (l’utilisation de modèles d’armes nucléaires modernes réduirait ces nombres à 1000 et 3 000 centrifugeuses seulement, et 193 000 et 340 000 kWh.)

Des modèles de centrifugeuses perfectionnées devraient atteindre un enrichissement 10 fois supérieur à celui des machines actuelles, ce qui permettrait de réduire encore le nombre nécessaire à la production d’UHE. On a rapporté la vente d’une technologie de centrifugation, basée sur les anciens modèles européens, par le réseau animé par A.Q. Khan, l’ancien dirigeant du programme nucléaire militaire pakistanais, à des pays comme la Libye, l’Iran et la Corée du Nord. Cette situation souligne les problèmes de prolifération posés par la réduction de la taille et de la consommation électrique du procédé d’enrichissement par centrifugeuse.

La séparation isotopique électromagnétique (EMIS)

La technique de la séparation électromagnétique constitue un troisième type de procédé d’enrichissement de l’uranium qui a été autrefois utilisé à grande échelle. Lancée pendant le Projet Manhattan à Oak Ridge (Tennessee), l’usine de séparation électromagnétique a été utilisée aussi bien pour enrichir l’uranium naturel que pour poursuivre l’enrichissement d’uranium auparavant traité par une usine à diffusion gazeuse aussi implantée sur le site d’Oak Ridge. l’utilisation de ce type d’installation, décrite à la Figure 4, a été interrompue peu de temps après la guerre, parce que son fonctionnement s’est révélé très coûteux et inefficace.

Parce que de construction relativement simple, l’Irak a mis en œuvre cette technique dans les années 1980 dans le cadre de son effort de production d’UHE, mais elle n’a réussi à produire que de faibles quantités d’uranium moyennement enrichi (à peine plus de 20 pour cent).

Figure 4 : l’usine de séparation électromagnétique Y-12, construite à Oak Ridge (Tennessee) pendant le Projet Manhattan. Des dispositifs de ce type, aussi appelés calutrons, ont été utilisés, en partie, pour enrichir l’uranium pour la bombe qui a été larguée par les Etats-Unis sur Hiroshima. (Photo de Ed Westcott, U.S. Army Corps of Engineers. Avec l’aimable autorisation de la Manhattan Project Heritage Preservation Association.)

Le procédé de séparation électromagnétique est basé sur le fait qu’une particule chargée qui se déplace dans un champ magnétique suit une trajectoire curviligne, dont le rayon dépend de la masse de la particule. Les particules les plus lourdes décrivent alors un cercle plus grand que les particules plus légères, en supposant qu’elles aient la même charge et se déplacent à la même vitesse.

Dans le processus d’enrichissement, du tétrachlorure d’uranium est ionisé sous forme d’un plasma d’uranium (c.à.d. que l’UCl4 solide est chauffé pour former un gaz, et est ensuite bombardé par des électrons pour produire des atomes libres d’uranium qui ont perdu un électron et sont donc chargés positivement). Les ions uranium sont ensuite accélérés et envoyés à travers un puissant champ magnétique. Après avoir franchi un demi-cercle (la section courbe du calutron, le grand dispositif en forme de O au milieu de la photo de la Figure 4), le faisceau des atomes d’uranium ionisés est divisé entre une zone plus proche de la paroi extérieure, qui est appauvrie, et une zone plus proche de la paroi intérieure, qui est enrichie en U-235.

Du fait des grandes quantités d’énergie nécessaires au maintien de puissants champs magnétiques, du faible taux de récupération de l’uranium d’alimentation, et des difficultés d’exploitation de l’installation, il est très improbable que la séparation électromagnétique soit choisie pour des usines d’enrichissement à grande échelle. Particulièrement étant donnée l’existence des modèles de centrifugation gazeuse les plus avancés exploités à l’heure actuelle.

Séparation aérodynamique/par tuyère

Le procédé d’enrichissement de l’uranium qui a été utilisé le plus récemment à grande échelle est la séparation aérodynamique. Cette technologie a d’abord été mise au point en Allemagne, et employée par le gouvernement pro-apartheid sud-africain, dans une installation qui était censée fournir de l’uranium faiblement enrichi aux centrales nucléaires civiles en Afrique du Sud, ainsi qu’une certaine quantité d’uranium hautement enrichi pour un réacteur de recherche. En réalité, l’usine d’enrichissement a aussi fourni une quantité estimée à 400 kilogrammes d’uranium enrichi à plus de 80 % à des fins militaires. Au début des années 1990, le président sud-africain F.W. de Klerk a ordonné la fin de toutes les activités nucléaires militaires et la destruction de toutes les bombes existantes. Ce processus a été achevé en l’espace d’environ un an et demi, juste après que l’Afrique du Sud soit devenue partie au TNP, et juste avant de se soumettre aux inspections et aux garanties de l’Agence internationale de l’énergie atomique.

La séparation isotopique aérodynamique (qui comprend les procédés par tuyère et par hélicon) permet l’enrichissement d’une manière similaire à celle qui est employée avec les centrifugeuses à gaz, dans la mesure où l’on fait circuler le gaz selon une trajectoire courbe, qui entraîne les molécules les plus lourdes contenant de l’U-238 vers la paroi extérieure, tandis que les molécules plus légères restent plus près de la piste intérieure. Dans les usines de séparation par tuyère, l’hexafluorure d’uranium gazeux est mis sous pression, soit avec de l’hélium soit avec de l’hydrogène gazeux, de façon à augmenter la vitesse du flux gazeux. Le mélange est ensuite envoyé par un grand nombre de petits tuyaux circulaires, qui séparent le courant enrichi à l’intérieur du courant appauvri à l’extérieur.

Le procédé de séparation aérodynamique/par tuyère est l’une des techniques d’enrichissement les plus coûteuses jamais entreprises, étant donné les difficultés techniques de la fabrication des tuyères de séparation, et les importants besoins en énergie pour comprimer l’UF6 et le mélange du gaz porteur. Comme pour les usines à diffusion gazeuse, une grande quantité de chaleur est générée pendant l’exploitation d’une usine de séparation aérodynamique, qui exige de grandes quantités de réfrigérant comme le Fréon.

Autres technologies

Il existe un certain nombre d’autres technologies d’enrichissement de l’uranium – comme la séparation isotopique laser sur vapeur atomique (AVLIS ou SILVA), la séparation isotopique laser moléculaire (MLIS), la réaction chimique par activation laser sélective isotopique (CRISLA), et l’enrichissement chimique à échange d’ions – qui ont également été développées mais qui restent pour l’essentiel encore à un stade expérimental ou de démonstration et n’ont pas encore été utilisées pour enrichir des quantités d’uranium civil ou militaire.

Les procédés AVLIS, CRISLA et MLIS s’appuient sur la légère différence des propriétés atomiques de l’U-235 et de l’U-238, pour permettre à de puissants lasers d’exciter ou d’ioniser de façon préférentielle un isotope plutôt que l’autre. Le procédé AVLIS se sert d’uranium métallique comme matière première et de champs électriques pour séparer les ions U-235 chargés positivement des atomes U-238 neutres. Les procédés MLIS et CRISLA utilisent de l’hexafluorure d’'uranium mélangé avec d’autres gaz de procédé comme matière première, et se servent de deux lasers distincts pour exciter puis modifier chimiquement les molécules d’hexafluorure d’uranium contenant l’U-235, qui peuvent ensuite être séparées des molécules contenant l’U-238 qui ne sont pas modifiées par les lasers. Le procédé AVLIS a été pratiqué par l’USEC à des fins civiles, mais a été abandonné à la fin des années 1990 pour cause de non-rentabilité. d’autres pays ont aussi renoncé à tous les programmes de production AVLIS et MLIS. Toutefois, des travaux se poursuivent sur d’éventuelles installations de recherche utilisant ces techniques laser pour la séparation isotopique de l’uranium ainsi que d’autres radionucléides comme le plutonium.

Il n’existe qu’un type de procédé d’enrichissement qui tire parti des différences minimes entre les propriétés chimiques des deux isotopes pour séparer l’U-235 de l’U-238. Les procédés dits d’enrichissement chimique à échange d’ions ont été développés par les gouvernements français et japonais. Par l’utilisation de solvants appropriés, l’uranium peut être séparé en une section enrichie (contenue dans un flux de solvant) et un flux appauvri (contenu dans un solvant différent, qui ne se mélange pas avec le premier, de la même manière que l’huile et l’eau ne se mélangent pas). Cette technique d’enrichissement a également été explorée par l’Irak. Actuellement, tous les programmes connus ayant recours à cette technique ont été arrêtés depuis au moins le début des années 1990.

La démonstration de toutes ces technologies a été réalisée à échelle réduite, et certaines, comme AVLIS, ont connu un processus de développement bien plus important pour un passage au niveau d’installations de production. Toutefois, l’éventualité de l’utilisation de ces alternatives technologiques pour l’enrichissement de l’uranium dans le cadre d’un programme clandestin demeure une source d’inquiétude, particulièrement si la rentabilité de l’usine n’est pas un problème et qu’elle vise seulement à l’enrichissement des quantités relativement modestes d’UHE nécessaires à la fabrication d’une ou deux bombes par an. Néanmoins, pour l’instant, la centrifugation gazeuse apparaît comme la principale technologie privilégiée à la fois pour le futur enrichissement de l’uranium civil pour l’énergie nucléaire et pour l’éventuelle prolifération d’armes nucléaires.


Voir aussi :


LES NOTES BAS DE PAGE

1 Voir par exemple “L’arme nucléaire « utilisable » contre-attaque” dans Energie et Sécurité n° 26, en ligne sur www.ieer.org/ensec/no-26/no26frnc/contents.htm; “Le plan énergétique Cheney : techniquement et écologiquement non soutenable” dans Energie et Sécurité n° 18, en ligne sur www.ieer.org/ensec/no-18/no18frnc/contents.html; “La fin de l’économie du plutonium. Arrêter de retraiter et commencer à immobiliser” dans Energie et Sécurité n° 16, en ligne sur www.ieer.org/ensec/no-16/no16frnc/contents.html; et, Energie et Sécurité n° 13, en ligne sur www.ieer.org/ensec/no-13/no13frnc/contents.html.

2 Le thorium 232, qui existe également à l’état naturel, peut être utilisé pour fabriquer des bombes en le convertissant d’abord en U-233 (un isotope de l’uranium pratiquement inexistant dans la nature) dans un réacteur nucléaire. Néanmoins, il est nécessaire d’utiliser un combustible à l’uranium, ou un combustible dérivé (comme le plutonium) dans le réacteur pour cette conversion, afin de produire de grandes quantités d’U-233 à partir du thorium 232.

3 « L’eau lourde » est de l’eau qui contient du deutérium à la place de l’hydrogène ordinaire présent dans l’eau normale (aussi appelée eau légère). Le deutérium compte un proton et un neutron dans son noyau, alors que l’hydrogène normal n’a qu’un proton.

4Le processus d’enrichissement se situe en aval des mines d’uranium, du traitement du minerai et de la conversion. Traditionnellement, l’uranium a été extrait de mines à ciel ouvert ou souterraines. D’autres techniques comme l’extraction par lixiviation in situ, dans laquelle des solutions sont injectées dans des gisements souterrains pour dissoudre l’uranium, sont maintenant largement utilisées. Les opérations d’extraction et de traitement ont eu un impact disproportionné sur les populations autochtones dans le monde entier. Le traitement (raffinage) permet l’extraction de l’oxyde d’uranium (U3O8) du minerai pour former du concentré (« yellowcake »), une poudre jaune ou marron qui contient environ 90 pour cent d’oxyde d’uranium. Aux États-Unis, le volume total des résidus de traitement du minerai représente plus de 95 pour cent du volume de l’ensemble des déchets radioactifs à toutes les étapes du cycle de production des armes atomiques ou de l’électricité nucléaire. Bien que le risque par gramme de résidus de traitement soit relativement faible par rapport à ce qu’il est pour la plupart des autres déchets radioactifs, les volumes importants et l’absence de réglementation jusqu’en 1980 ont abouti à une contamination de grande ampleur de l’environnement. Le processus de conversion permet la transformation du concentré en hexafluorure d’uranium (UF6).

5 Les UTS sont mesurées en kilogrammes, bien qu’elles mesurent en réalité l’effort nécessaire pour augmenter le pourcentage d’U-235 dans un flux d’uranium jusqu’à des taux spécifiés.

6 Ce calcul suppose que la centrale nucléaire fonctionne à pleine puissance pendant environ 80 à 90 pour cent de l’année.

7 L’USEC exploite deux usines de diffusion gazeuse aux Etats-Unis, une à Piketon dans l’Ohio (qui ne fait plus d’enrichissement commercial de l’uranium) et une à Paducah, dans le Kentucky. L’USEC a été créée sous forme de société publique dans le cadre de la Loi sur l’énergie de 1992 et privatisée par la législation en 1996. L’USEC veut construire des installations de centrifugation gazeuse à Piketon ; la Commission de la réglementation nucléaire américaine (NRC) a accordé cette année une autorisation à l’USEC pour construire et exploiter à Piketon une installation appelée « Lead Cascade », pour tester le procédé de centrifugation gazeuse pour le marché américain. Une autre société, Louisiana Energy Services (LES), veut construire une usine de centrifugation gazeuse commerciale aux États-Unis, mais son projet s’est heurté à la résistance des populations partout où elle propose sa construction.

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(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 13, no. 1, a été publiée en mars 2005.)

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