IEER | Énergie et Sécurité No. 26


" Cher Arjun "

Cher Arjun,
Quelle est la différence entre les mini-bombes, les bombes à faible puissance et les bombes anti-bunker («bunker busters») ?
-- Yann Lecurieux dans l’Idaho


Cher Yann Lecurieux,

« Bombe » est en fait une altération orthographique pour « bombu », qui était une des boissons alcoolisées préférées des Mayas.  Les « mini-bombus » étaient servis dans de petits verres à cocktails.  Les « bombus » de faible puissance étaient servis pendant les années de sécheresse ;  Quant aux « bunkers busters », ils étaient destinés aux types qui étaient terrés en position défensive sans avoir rien à faire.  Mais depuis que les Européens ont pris les choses en mains, ces termes sont utilisés pour décrire de nouvelles catégories d’armes nucléaires en cours de mise au point aux Etats-Unis.  Avant d’en venir à la terminologie elle-même, vous souhaitez sans doute des éléments d’information sur ce sujet.

Une arme nucléaire de faible puissance est une bombe dont la puissance est inférieure à 5 kilotonnes d’équivalent TNT.[1]  Deux spécialistes des armes nucléaires de Los Alamos ont donné la première discussion publique sur le concept d’une arme nucléaire de faible puissance.  Ils proposaient quatre types de modèles d’armes dans un article publié dans le numéro d’Automne 1991 de la Strategic Review.[2]  Les types d’armes étaient les suivants :

·        les « micro-nukes », armes d’une puissance de 10 tonnes équiv. TNT qui peuvent être utilisées pour détruire des bunkers ou des pistes d’atterrissage;

·        les « mini-nukes », armes d’une puissance de 100 tonnes équiv. TNT destinées à contrer les missiles balistiques ;

·        les « tiny nukes », armes d’une puissance de 1000 tonnes équiv. TNT utilisables sur un champ de bataille contre des unités ennemies ;

·        les ogives « exotiques » (voir ci-dessous).

Aujourd’hui les termes « mini-bombes », « armes anti-bunkers », et « armes nucléaires de faible puissance » sont souvent utilisés indifféremment, ce qui n’est pourtant pas toujours techniquement correct.  Le terme « arme anti-bunker » peut être appliqué aussi bien à des bombes conventionnelles que nucléaires.  Une arme anti-bunker est une bombe qui est capable de détruire des cibles durcies et des bunkers souterrains et entre dans la catégorie des « armes de pénétration » ("earth penetrating weapons" -EPW).  Les armes de pénétration sont conçues pour atteindre le sol à grande vitesse et pour y pénétrer avant d’exploser.  Une bombe ne peut pénétrer dans le sol qu’à une profondeur limitée. L’effet destructif de l’arme vient du fait que l’onde de choc au sol créée par l’explosion peut se propager et ainsi, accroître la puissance de l’explosion.  Le processus au cours duquel l’énergie de l’explosion est transférée au sol est appelé « couplage ».[3] 

Les Etats Unis disposent actuellement dans leur arsenal à la fois d’armes de pénétration de type conventionnel et de type nucléaire.  L’EPW conventionnelle la plus puissante pèse plus de deux tonnes et est capable de pénétrer six mètres de béton ou 30 mètres de terre. Les Etats-Unis possèdent approximativement cinquante armes de pénétration nucléaires d'une puissance allant de 0,3 à 340 kilotonnes. Cette arme, la B61-11, est une version modifiée d’une autre arme et de ce fait, elle n’a pas eu besoin d’être testée.  Elle est entrée dans l’arsenal après la Guerre du Golfe de 1991.  Une arme de 0,3 kilotonne ayant pénétré de 3 mètres dans le sol pourrait détruire un bunker durci enterré sous 15 mètres de roche dure ou de béton. Une arme de 340 kilotonnes ayant pénétré dans le sol sur la même distance détruirait une cible située 70 mètres au-dessous de la surface.[4]

Pour le budget 2004, l’administration Bush a demandé 15,5 millions de dollars pour le développement d’une « arme de pénétration nucléaire robuste » (Robust Nuclear Earth Penetrator). Le but de l’administration est de disposer d’une arme qui pourrait détruire un bunker situé à 300 mètres au-dessous du niveau du sol.  Comme l’indique ce qui précède, une arme de faible puissance ne ferait pas l’affaire.  Une des options envisagée par l’administration est la modification de l’ogive nucléaire B-83 dont la puissance peut atteindre une mégatonne (1000 kilotonnes).[5] 

Les partisans du développement de telles armes font souvent valoir que les retombées radioactives, l’explosion se déroulant en sous-sol, seraient pour l’essentiel confinées dans le sol lui-même.  Pourtant, une analyse attentive montre que tel ne serait pas le cas.

La mise au point de ces bombes « utilisables » pourrait ouvrir la voie à d’autres armes nouvelles.  Les concepteurs de bombes sont à la recherche d’ogives nucléaires plus « exotiques » qui offriraient aux militaires tout un champ de possibilités.  La bombe à fusion pure est l’une d’elles. Dans ces armes, une explosion déclenchée par une amorce à fission (où des atomes sont brisés) entraîne la fusion du deutérium et du tritium (des formes plus lourdes de l’hydrogène) qui s’accompagne d’un dégagement de neutrons très énergétiques.  Des armes à fusion pure ne donneraient lieu qu’à très peu de retombées radioactives (de produits d’activation) au contraire des armes à fission et des armes thermonucléaires actuelles.  Jusqu’ici, la faisabilité technique des armes à fusion pure n’a pas été prouvée parce que seule une réaction de fission est capable de créer les températures et les pressions nécessaires pour induire une réaction de fusion avec un bilan énergétique positif.  Des recherches sur divers projets dans les laboratoires nationaux de Los Alamos, Sandia et Livermore pourraient conduire à la mise au point de ces armes bien que leur développement ne figure pas parmi les objectifs annoncés.[6]



LES NOTES BAS DE PAGE

[1] Une kilotonne est égale à 1000 tonnes. Par comparaison, la bombe larguée sur Hiroshima avait une puissance de 12-15 kilotonnes.

[2] Thomas Dowler  et Joseph S. Howard III, "Countering the Threat of the Well-armed Tyrant: A Modest Proposal for Small Nuclear Weapons." Strategic Review, automne 1991.

[3] Lisbeth Gronlund et David Wright, "Earth Penetrating Weapons," Union of Concerned Scientists. Pas de date précisée..

[4] ibid.

[5] Senator Daniel Akaka, "Nuclear Earth Penetrator Weapons: The Myth and Danger," Congressional Record, le 11 avril 2003.

[6] Pour plus de détails, voir Hisham Zerriffi et Arjun Makhijani, "Des armes à fusion pure ?" dans Energie et Sécurité, no. double 6-7, 1999.


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(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 11, no. 4, a été publiée en septembre 2003.)

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