IEER | Énergie et Sécurité No. 18


" Cher Arjun "

Cher Arjun,
Que sont les PBMR dont je n'arrête pas d'entendre parler ? Le nom fait penser à des espèces de Choco BN, mais je sais que ça a un rapport avec des choses que l'on trouve facilement dans le Bush, des petites boules, je crois. Pouvez-vous m'aider ?
M. Ledéconcerté, de Bethesda


Cher M. Ledéconcerté:

Les PBMR ne sont pas des Choco BN mais vous avez en partie raison. Il s'agit bien de petits beurres. En fait, les PBMR sont une friandise pour adultes : les Petits Beurres Marbrés au Rhum.

Une nuit, des représentants de l'industrie nucléaire ont un peu forcé sur les PBMR et le rhum. De ce fait, ils sont devenus très gais, ont commencé à jouer avec le sigle et ont abouti à quelque chose de tout à fait merveilleux, un réacteur nucléaire. Au début, ils voulaient l'appeler le Petit Bush, réacteur modulaire, parce que les éléments combustibles ressemblent à de petites boules, qu'on trouve dans le bush. Mais c'était juste avant les dernières élections. Maintenant, PBMR veut dire Pebble Bed Modular reactor (Réacteur modulaire à lit de boulets). Ce que je vous conseille, M. Ledéconcerté, c'est de l'appeler simplement le Lit de Boulets en vous souvenant bien qu'il ne s'agit pas d'une excursion dans le lit desséché d'un torrent des montagnes Rocheuses.

Si l'on permute les lettres PBMR, on obtient MPBR. C'est ee nom qu'utilisé l'Institut de technologie du Massachusetts (MIT-Massachusetts Institute of Technology) et le Laboratoire national d'ingénierie et d'environnement d'Idaho (INEEL - Idaho National Engineering and Environmental Laboratory), appartenant au Département de l'Energie. Le DOE (Département de l'Energie) a désigné ce dernier comme laboratoire principal où seront centrés les efforts du gouvernement dans le domaine de la recherche et du développement des réacteurs civils.

Les PBMR, comme la plupart des nouvelles idées de réacteurs, sont la réincarnation d'une idée plus ancienne. (Tous les réacteurs dont vous avez déjà entendu parler ont été inventés dans les années 1940 et 1950). Dans ce cas, l'idée initiale est celle du « réacteur à haute température refroidi par gaz », ou RHTRG, qui avait alors été proposé dans une version modulaire, connue, bien entendu, sous le nom de RMHTRG. Si vous achetez un exemplaire de l'ouvrage de l'IEER intitulé « The Nuclear Power Deception » (en version anglaise), vous y trouverez une analyse du RMHTRG, notamment concernant les problèmes de sûreté. Mais si, cher M. Ledéconcerté, vous êtes fauché, je vous en enverrai un exemplaire gratuitement. Ou alors vous pouvez tout simplement lire la partie consacrée entièrement aux RHTRG dans ce livre.Vous pouvez aussi apprendre des informations astucieuses sur la physique nucléaire et les réacteurs nucléaires en allant voir le site de l'IEER, au cas où vous souhaiteriez en ce moment vous intéresser au business des réacteurs nucléaires, vu comme c'est à la mode, soutenu politiquement, et tout, et tout.(Mais nous ne garantissons en aucun cas que cela vous rapportera de l'argent). Le PBMR est une variante du RHTRG.

Les RHTRG sont refroidis par de l'hélium sous forme gazeuse, un gaz inerte. Ils utilisent le graphite comme modérateur (au lieu de l'eau, qui est le modérateur de la plupart des réacteurs nucléaires existants). Le graphite est utilisé dans les réacteurs de type Tchernobyl (les RBMK)1, qui sont refroidis par eau, et dans les réacteurs britanniques avancés refroidis par gaz (British Advanced Gas Reactors), qui sont refroidis par dioxyde de carbone. Certains réacteurs modérés par graphite utilisent du combustible à l'uranium faiblement enrichi; d'autres utilisent l'uranium naturel. Les descriptions des différents types de réacteurs sont disponibles (en anglais) sur le site web de l'IEER.

Un seul RHTRG de grande taille, de 330 mégawatt électriques, a été construit aux Etats-Unis - il s'agit du réacteur de Fort St Vrain, dans le Colorado, un véritable échec commercial. Il a été mis à l'arrêt en 1989. Il a été perclus de problèmes techniques imposant un taux d'arrêt forcé de plus de 60 pour cent. Son facteur de capacité sur sa durée de vie a été de seulement 14,5 pour cent. Les centrales qui assurent une production en base comme par exemple les centrales nucléaires, sont normalement conçues pour avoir des facteurs de capacité de 75 pour cent ou plus. Les calculs de coûts réalisés par les partisans du PBMR utilisent un facteur de capacité de 90 pour cent (voir par exemple la présentation faite par Andy Kadak sur le site web suivant : http://www.min.uc.edu/nuclear/kadak/sld051.htm).

Les concepteurs des PBMR affirment bénéficier du retour d'expérience. Dans le PBMR, l'hélium chaud alimente directement une turbine, ce qui réduit les risques de contact entre l'eau et le graphite. Mais il y a pourtant une deuxième boucle pour l'eau. L'eau est utilisée pour refroidir le gaz d'hélium avant qu'il ne soit renvoyé au réacteur. L'utilisation d'eau serait inférieure à celle des réacteurs à eau ordinaire, car le rendement/l'efficacité prévue du PBMR serait supérieure. Vous pouvez rendre visite au site promotionnel du PBMR Sud africain à cette adresse : http://www.pbmr.co.za/.

Il est prévu que les PBMR aient du combustible au dioxyde d'uranium enrobé de carbure de silicium et de pyrocarbon2 . Le combustible serait fabriqué sous la forme de minuscules particules, ressemblant à des grains de sable fin, appelées des microsphères. Dans un PBMR, un conteneur de plus grande taille, d'un diamètre de 60 millimètres, est rempli de ces particules de combustible. Les boules de combustible circulent en continu dans le réacteur, et sont mélangées à des boules de graphite, qui sont utilisées comme modérateur. Il devrait y avoir 360 000 boules de combustible, ou boulets, par cœur de réacteur, contenant chacune 11 000 microsphères de combustible, au total 4 milliards de microsphères par réacteur de 110 mégawatts. Il est prévu qu'il y ait des boules pour l'absorption des neutrons et six barres de contrôle, selon le modèle proposé. Environ un tiers des boulets serait déchargés du réacteur chaque année. Ces chiffres s'appliquent au projet actuellement étudié par le MIT et l'INEEL.

British Nuclear Fuels, qui appartient au gouvernement britannique, ainsi que d'autres entreprises partenaires et la compagnie électrique d'Afrique du Sud ESKOM, sont en train de concevoir un PBMR de 110 mégawatts électriques qui devrait être construit en Afrique du Sud. Le consortium espère en faire une centrale de démonstration qui servirait de base à une grande industrie exportatrice. Une telle centrale aurait une puissance de sortie qui serait égale à environ un dixième de celle d'un réacteur à eau ordinaire de grande taille. D'où le terme de 'modulaire'.

Le PBMR semble être la nouvelle tentative de l'industrie nucléaire visant à vendre des réacteurs nouveaux, améliorés et « intrinsèquement sûrs ». Il s'agit là d'un terme intrinsèquement trompeur. Aucun PBMR commercial n'a réellement été construit et exploité jusqu'ici. Selon les promoteurs du PBMR, (voir site http://www.pbmr.co.za/2_about_the_pbmr/2_8background_to_the_pbmr.htm), un petit réacteur pilote allemand aurait été exploité pendant 21 ans avec un facteur de capacité de 70 pour cent. Les RHTRG ont incontestablement connu des fortunes diverses. Le seul RHTRG de grande taille aux Etats-Unis, celui de Fort St Vrain, a connu de nombreux problèmes et a été fermé de façon prématurée. Les PBMR ont été proposés dans les années 1990 comme réacteurs pouvant éventuellement servir la transmutation des déchets. (Voir Energie et Sécurité n°13 (2000), pour une description de l'étude de l'IEER sur la transmutation).

Une analyse des problèmes de sûreté liés à une telle utilisation du PBMR est disponible dans une étude de 1996 sur la transmutation, réalisée par le Conseil national de recherche de l'Académie nationale des Sciences des Etats-Unis. Cette analyse de la sûreté ne s'applique pas directement étant donné que les conditions d'exploitation et les combustibles seraient différents de ceux du PBMR proposé. Quoi qu'il en soit, il est intéressant de remarquer que l'étude conclut que « à ce stade du développement conceptuel, il existe peu d'informations quant aux caractéristiques de sûreté du PBR [Pebble Bed Reactor], quant à ses facteurs de risques principaux, ou son impact sur l'environnement ». L'étude affirmait plus loin que « On ne sait pas clairement comment le cœur [du PBR] réagirait à une situation où la circulation du réfrigérant à base d'hélium serait interrompue. »3

La proportion des composants qualifiés de « liés à la sûreté » dans le PBMR proposé, et par conséquent faisant l'objet d'inspections rigoureuses plus poussées, serait seulement de 15 à 20 pour cent, comparée à 40 ou 50 pour cent pour les réacteurs à eau ordinaire. La réduction du nombre d'inspections peut rendre l'exploitation du réacteur moins coûteuse, mais elle peut aussi le rendre plus vulnérable aux accidents. L'accident de Three-Mile Island a commencé avec un composant « non lié à la sûreté », une valve dans le système du condensateur qui avait été fermée par inadvertance. C'était la troisième fois dans la même année qu'un composant non lié à la sûreté avait engendré un arrêt brusque du réacteur. Etant donné qu'il s'agissait d'un composant non lié à la sûreté, il n'avait pas été inspecté. En revanche, il l'aurait été s'il s'était agi d'un composant de sûreté.

Bien que la conception des PBMR permettrait d'éviter les accidents de type fusion du combustible, une perte de réfrigérant produirait toutefois des conséquences radiologiques graves. Les PBMR contiendront du graphite, qui pourrait prendre feu si l'air entre dans le cœur après une perte de réfrigérant à base d'hélium. Qui plus est, un accident de perte de réfrigérant suite à une brèche dans la séparation entre les circuits d'hélium et d'eau pose un risque de réactions entre la vapeur et le graphite avec production de monoxyde de carbone et de l'hydrogène pouvant engendrer un risque d'incendie.

En somme, les PBMR ont en matière de sûreté, des faiblesses qui leurs sont spécifiques, et ne méritent pas d'être appelés « intrinsèquement sûrs ». Il est bon de remarquer que les partisans du PBMR veulent toujours que les gouvernements assurent leur réacteur dans le cadre de la loi Price Anderson. Voilà une preuve de la confiance qu'ils ont en sa sûreté intrinsèque, vous ne pensez pas, Cher M. Ledéconcerté ?

Si le réacteur est construit sans enceinte de confinement secondaire, comme il a été proposé, cela pourrait aboutir à un rejet massif de radioactivité. En guise d'éventuelle consolation, la quantité de radioactivité dans le cœur du réacteur par unité de puissance produite est inférieure à celle d'autres modèles de réacteurs, parce que les boulets de combustible circulent continuellement avec un système de triage qui soustrait du réacteur les boulets «usés". Ceux-ci sont mis en entreposage et remplacés par de nouveaux boulets introduits par le haut. Ainsi l'inventaire des radionucléides à vie courte, comme le xénon 133 et l'iode 131 qui pourraient être rejetés dans le cas d'un accident grave, est réduit. La rentabilité d'un réacteur modulaire de 110 mégawatts serait sujette à caution si une enceinte de confinement secondaire y était , comme il se devrait, ajoutée. Il est important de rappeler que l'enceinte de confinement secondaire est la seule caractéristique qui a empêché l'accident de Three Mile Island de rejeter des quantités massives de radioactivité. Sans elle l'ampleur aurait été plus comparable à celle de Tchernobyl.

Les RMHTRG sont plus vulnérables aux attaques terroristes que les réacteurs à eau ordinaire (voir Nuclear Power Deception). Il est difficile de savoir si la vulnérabilité des RMHTRG s'appliquerait aussi aux PBMR, puisque aucun plan détaillé n'est disponible.

Les PBMR utiliseraient du combustible enrichi à un niveau considérablement plus élevé que les réacteurs existants. Des niveaux d'enrichissement allant de 8 à 20 pour cent ont été proposés, la préférence allant actuellement au premier chiffre. Bien que l'uranium enrichi à 8 pour cent ne pourrait pas être utilisé pour la fabrication d'armes nucléaires, il serait plus facile de fabriquer de l'uranium de qualité militaire à partir de combustible PBMR qu'à partir du combustible des réacteurs à eau ordinaire (un enrichissement de moins de 5 pour cent).

Il faudrait construire 20 000 PBMR au cours des quarante prochaines années environ pour apporter une contribution à l'approvisionnement énergétique mondial qui aurait un impact significatif sur les émissions de dioxyde de carbone. Si l'on prévoit une dizaine d'années pour le développement du réacteur (une période très courte, si l'on considère qu'aucun réacteur n'a encore été construit), il faudrait dans les trente années suivantes raccorder presque deux réacteurs par jour au réseau. Le contrôle qualité de tant de réacteurs et leur contrôle réglementaire seraient quasiment impossibles. De plus, si l'on trouvait un problème de conception dans le PBMR une ou deux décennies après le début de la phase de construction accélérée, il deviendrait prohibitif financièrement de résoudre ces problèmes.

La production de combustible nécessaire à 20 000 unités devra être d'environ 25 mille milliards de micro sphères par an. Il serait donc crucial pour le PBMR de savoir comment le contrôle qualité serait appliqué pour un tel approvisionnement massif en combustible PBMR relativement nouveau. Dans ce contexte, il est important de remarquer qu'une des compagnies qui se placent à l'avant-garde de la promotion du PBMR est BNFL, la société appartenant au gouvernement britannique qui a reconnu qu'une partie de son combustible MOX (mélange d'oxydes de plutonium et d'uranium) envoyé au Japon avait des données de contrôle qualité falsifiées.

Enfin, il existe un bon nombre de questions associées aux déchets PBMR. Bien que la quantité de radioactivité par unité de puissance produite, présente à n'importe quel moment, serait moindre dans les PBMRs que les PWRS, le volume total des déchets serait considérablement accru, posant le problème bien connu : que faire des déchets radioactifs à vie longue. De plus, l'interaction entre le combustible enrobé de carbone et de carbure de silicium du PBMR avec l'environnement d'entreposage n'a pas encore été étudiée en détail.

Malgré le grand nombre de problèmes liés aux déchets produits par la génération actuelle de réacteurs existants, l'administration Bush et l'industrie nucléaire semblent prêtes à encourager de nouvelles commandes de réacteurs sans un débat de société significatif sur les lieux de destination des déchets. Même si le site deYucca Mountain obtenait l'autorisation d'exploitation, la loi lui interdit de stocker plus de 70 000 tonnes de combustible usé. Et si cette interdiction était levée, il est improbable que ce site puisse recevoir de nouvelles quantités massives de déchets nucléaires.

Pour conclure, M. Ledéconcerté, je conclurai que les PBMR=RMBP, dont l'explication non-mathématique est la suivante : si l'on poursuit le projet du PBMR, Réacteur Modulaire à Lit de Boulets, la société court le Risque Majeur d'être dans un Beau Pétrin.

Veuillez agréer, etc...

Arjun, alias Dr Egghead

L'IEER tient à remercier David Lochbaum de l'Union of Concerned Scientists pour sa révision d'une version préliminaire de cet article et pour toutes ses suggestions utiles. « Cher Arjun » garde en revanche la responsabilité du contenu de cet article.


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(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 9, no. 4, a été publiée en août 2001.)

Mise en place mars 2002


LES NOTES BAS DE PAGE

1 Acronyme russe pour Reactor Bolshoi Moschnosti Kanalynyi.

2 Carbone pyrolitique.

3 Commission on Geosciences, Environment and Resources of the National Research Council of the National Academy of Sciences, Nuclear Wastes : Technologies for Separation and Transmutation, Committee on Separations Technology and Transmutation Systems, (Washington DC: National Academy Press, 1996), p 292.