IEER | Énergie et Sécurité No. 18


Le plan énergétique Cheney : techniquement et écologiquement non soutenable

par Arjun Makhijani


En mai 2001, un groupe de travail dirigé par le vice-président américain Dick Cheney a publié un rapport intitulé National Energy Policy : Report of the National Energy Policy Development Group. (Politique énergétique nationale : rapport du groupe sur le développement d'une politique énergétique nationale.) Un autre titre est donné à l'intérieur du rapport : Reliable, Affordable, Environmentally Sound Energy for America's Future (Des énergies écologiquement solides, fiables et abordables pour l'avenir des Etats-Unis). Ce rapport est souvent plus brièvement appelé "Plan Cheney". On le trouve sur le web à l'adresse suivante : http://www.whitehouse.gov/energy (en version anglaise). Ce document a déclenché un véritable flot de débats sur les questions de politique énergétique, un débat qui était nécessaire depuis bien longtemps pour un bon nombre de raisons :

  • Les émissions américaines de dioxyde de carbone, l'un des principaux gaz à effet de serre, ont atteint un niveau record, et sont en hausse continue, contrairement à ce qui se passe en Union européenne et, au cours des dernières années, en Chine.
  • La demande croissante de pétrole au niveau mondial et l'accroissement des importations américaines se situent dans le contexte d'une nouvelle crise politico-militaire au Moyen- Orient qui concerne Israël et la Palestine ainsi que l'Irak. En même temps, une compétition pour les ressources pétrolières et gazières de la région Caspienne-Asie centrale (notamment l'Iran) commence à voir le jour entre les Etats-Unis, la Russie et potentiellement la Chine.1 Important quotidiennement 11 millions de barils, ils sont, de loin, le plus gros importateur de pétrole au monde.
  • La déréglementation des entreprises productrices d'électricité a engendré des conditions chaotiques, notamment pour les prix pratiqués en Californie, qui ont atteint des niveaux que l'on aurait considérés comme impensables au début de l'année 2000. Le prix le plus élevé rapporté a été de 3 880 dollars par mégawatt heure.2 Soit presque quarante fois le prix d'environ 100 dollars (112 Euros) par mégawatt heure, prix plafond qui était considéré approprié pour la facturation de l'électricité en période de pointe avant la déréglementation. Même avec un prix extrêmement élevé du gaz naturel à 10 dollars (12 Euros) par million de Btu (unité thermale britannique), qui a brièvement eu cours l'hiver dernier (il est actuellement tout juste supérieur à 2 dollars (2,4 Euros) lors de l'impression de ce bulletin, en février 2002), une limite de prix raisonnable pour l'électricité en période de pointe serait d'environ 200 dollars par mégawatt heure (224 Euros). Une bonne partie de la puissance électrique en pointe peut être produite pour beaucoup moins cher.

Alors que le Plan Cheney consacre une part importante de son texte aux sources d'énergie renouvelables, à l'efficacité énergétique, aux aspects sociaux, et à l'environnement, les actions recommandées dans ces domaines sont mineures, et placent tous ces problèmes en marge de la politique énergétique. La réduction des émissions de dioxyde de carbone ne fait pas partie de ce plan qui mentionne seulement à ce propos les mesures volontaires des entreprises. La Politique énergétique nationale ne mentionne pas le Protocole de Kyoto, le traité international visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre3, qui a été signé par les Etats-Unis mais rejeté par l'administration Bush. Les Etats-Unis sont responsables de l'émission de 25 pour cent des gaz à effet de serre au niveau mondial. (Voir dans le tableau de la page suivante une comparaison des émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis avec celles d'autres pays).

L'attention principale du plan (au chapitre 5), se porte sur l'accroissement de l'approvisionnement énergétique grâce au charbon, au pétrole, au gaz et à l'énergie nucléaire. Le développement des infrastructures et des mesures de politique étrangère décrites dans les chapitres 7 et 8, complémentent cette priorité accordée à l'approvisionnement. Parmi les aspects concrets qui ressortent de la Politique énergétique nationale, on trouve entres autres :

  • Pétrole et gaz naturel : La politique proposée aurait pour effet (i) d'ouvrir des terres fédérales au forage pour le pétrole et le gaz, notamment par le biais de réduction des "restrictions" actuellement placées sur ce type de forages; (ii) d'ouvrir une partie du parc naturel national d'Alaska (Alaska National Wildlife Refuge - ANWR) pour des forages de pétrole et de gaz (le U.S Geological Survey situe les réserves pétrolières qui s'y trouvent dans une fourchette de 5 à 15 milliards de barils); (iii) d'encourager le forage offshore dans les régions arctiques au large de l'Alaska; (iv) d'envisager des mesures pour la réduction du "risque associé à la production [de pétrole et de gaz] dans les régions frontalières", et "des encouragements" à l'investissement tels que la réduction des redevances d'exploitation au gouvernement pour les nouvelles productions de pétrole et de gaz offshore; (v) de promouvoir "la récupération accrue de pétrole et de gaz à partir des puits existants par le biais de nouvelles technologies."
  • Charbon : La politique proposée fournirait 2 milliards de dollars (2,24 milliards d'Euros) pour la recherche sur les technologies de charbon "propre" et pour "apporter un environnement réglementaire sécurisé" qui faciliterait les investissements dans la combustion du charbon pour la production d'électricité. Ceci semble être une référence implicite aux éventuelles réglementations sur les émissions de dioxyde de carbone qui ont été à l'origine d'inquiétudes dans l'industrie charbonnière.
  • Énergie nucléaire. La politique proposée "soutiendrait l'expansion de l'énergie nucléaire aux Etats-Unis en tant que composante majeure de notre politique énergétique nationale". Ce soutien comprendrait (i) la facilitation des renouvellements d'autorisations pour les centrales nucléaires existantes au-delà de leur durée de vie prévue, (ii) un encouragement à la création de nouvelles centrales nucléaires sur le site des centrales existantes, éventuellement sans nouveau processus d'étude d'impact sur l'environnement, (iii) un encouragement à la recherche pour une nouvelle forme de retraitement appelé pyroretraitement, afin de promouvoir le développement de "cycles du combustible nucléaire avancés et de technologies de nouvelle génération pour l'énergie nucléaire" (p 5-17). Il s'agit là d'une référence implicite au Réacteur rapide intégral (Integral Fast Reactor), un réacteur surgénérateur refroidi par sodium auquel est rattachée une usine de pyroretraitement. Le Plan Cheney prône également une collaboration internationale sur le retraitement de combustibles nucléaires civils, notamment avec des pays comme la France. La partie du chapitre 5 consacrée à l'énergie nucléaire affirme également qu'un nouveau type de réacteur appelé le réacteur modulaire à lit de boulets (Pebble Bed Modular Reactor) a des "caractéristiques de sûreté inhérentes" (p5-16), mais ne mentionne aucun de ses points faibles au niveau de la sûreté. (Voir la colonne "Cher Arjun" pour un exposé détaillé sur ce type de réacteur).
  • Centrales électriques : Le plan prône la construction par les Etats-Unis de 1300 à 1900 nouvelles centrales électriques d'ici à l'an 2020, sur la base de la demande projetée. (La taille de centrale moyenne présumée semblerait être de 300 mégawatts).
  • Infrastructure : De nouvelles lignes de transmission d'électricité et de gaz naturel seraient encouragées par le biais de droits de passages accordés sur les terres fédérales, et par une nouvelle "législation permettant d'accorder des droits de passage pour des lignes de transmission électriques, avec pour objectif de créer un réseau de transmission national". Cela aurait pour effet de créer un pouvoir fédéral pour l'acquisition de terres pour le commerce entre États sur une base similaire à celle de la loi actuelle concernant les gazoducs (p 7-7 et 7-8).

Une disposition générale aurait pour effet de faire pencher la totalité du processus de prise de décision fédérale du côté de l'approvisionnement énergétique. Dans la partie du sommaire consacrée aux mesures d'approvisionnement, le plan recommande que le président "crée un décret-loi ordonnant à toutes les agences fédérales d'inclure dans toute action réglementaire pouvant affecter de manière significative et négative les approvisionnements énergétiques une déclaration détaillée sur l'impact énergétique de l'action en question" (p xiv). Par exemple, si un nouveau parc national venait à être créé, alors son impact énergétique devrait être examiné. Aucune clause équivalente n'a été incluse pour ce qui concerne le côté inverse du problème, la demande et l'efficacité énergétique.

Le plan est loin de répondre aux attentes concernant les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique, les réseaux de production décentralisée, et la production décentralisée et simultanée de chaleur et d'électricité (appelée cogénération, une méthode bien souvent plus efficace que de produire de la chaleur et de l'électricité séparément), bien que ces mesures permettraient d'augmenter l'efficacité énergétique si l'on suit le critère du second principe de la thermodynamique. (Pour une description du second principe de thermodynamique, voir Énergie et Sécurité n°5 (1998)). Par exemple, tandis que le plan entre dans le détail de la réduction des obstacles réglementaires et institutionnels posés pour le pétrole, le gaz et l'énergie nucléaire, il n'émet pas la moindre recommandation à ce propos pour les réseaux de production décentralisée. Il ne tient aucun compte d'une excellente étude du National Renewable Energy Laboratory (Laboratoire National sur les Énergies Renouvelables) du Département de l'Energie, publiée en juillet 20004, qui apporte des informations approfondies sur ce type de barrières réglementaires et institutionnelles à l'encontre de la cogénération, de la production d'énergies renouvelables, et d'autres centrales décentralisées qui pourraient rentrer dans le cadre de réseaux de production décentralisée. La résistance des principales compagnies productrices d'électricité face à de tels projets, concrétisée par des prix déraisonnables exigés par exemple pour la fourniture d'une puissance de réserve, reste un problème majeur, comme par le passé.

Sous le Plan Cheney certaines améliorations apportées à l'efficacité énergétique et les sources d'énergie renouvelables bénéficieraient de crédits d'impôts et de subventions. Entre autre, il

  • promulguerait de nouvelles lois pour fournir des crédits d'impôts à la cogénération.
  • poursuivrait le subventionnement accordé à l'électricité produite par l'énergie éolienne à sa hauteur actuelle (1,7 cents par kilowatt-heure, 1,1 Euros du kw/h).
  • ferait bénéficier d'un crédit d'impôt les voitures hybrides et les voitures utilisant une pile à combustible. Toutes les deux ont une efficacité énergétique supérieure aux véhicules conventionnels à essence. Les voitures hybrides, qui utilisent de l'essence comme combustible, fonctionnent une partie du temps à partir de batteries chargées grâce à l'énergie récupérée, par exemple, pendant le freinage.
  • allouerait 1,2 milliards de dollars (1,3 milliards d'Euros) des crédits obtenus par le gouvernement américain suite à la location à bail de la réserve naturelle de l'Alaska (ANWR) aux compagnies pétrolières, somme qui servirait à financer la recherche et le développement des énergies renouvelables. Cette somme ne serait donc pas disponible si l'ANWR n'était pas loué.
  • apporterait de modestes avantages fiscaux et crédits d'impôts dans d'autres domaines, tels que l'énergie solaire.
  • poursuivrait certains programmes d'information pour encourager une meilleure efficacité énergétique et l'utilisation de sources d'énergie renouvelables.

Le plan recommande également que le Secrétaire aux transports se prononce sur la possibilité ou non d'établir et de préciser des normes de consommation pour les véhicules, (connues sous le nom de normes CAFE : Corporate Average Fuel Economy)5 après la prise en compte d'une nouvelle étude réalisée par l'Académie nationale des Sciences des Etats-Unis. Cette étude, publiée le 31 juillet 2001, suggérait un certain nombre de mesures afin d'augmenter les normes d'efficacité énergétique, mais sans émettre de recommandation ferme.6

La norme CAFE pour les voitures particulières est actuellement de 8,6 litres aux 100 kilomètres, et n'a pas été abaissée depuis l'année de référence 19857 , en dépit du fait que l'on trouve actuellement sur le marché des voitures à essence utilisant la technologie hybride qui atteignent 3,9 litres/100km. Les voitures hybrides diesel peuvent atteindre 2,4 litres/100km avec la technologie actuelle. La norme CAFE pour les véhicules utilitaires légers (une catégorie qui comprend les 4x4, les fourgonnettes de transport de marchandise, les monospaces et les pickups, a été seulement renforcée graduellement depuis le milieu des années 1980 et elle n'est actuellement que de 20,7 miles par gallon (11,4 litres/100km).

Évaluation globale du plan

L'avancée la plus remarquable de ce plan a été de mettre l'énergie au centre du débat dans les discussions nationales à un moment où il est extrêmement urgent de le faire. Ce thème a été fortement négligé par les deux partis qui alternent au pouvoir depuis une vingtaine d'années. Mais la substance de ce plan n'est pas solide techniquement et insoutenable à terme. Il néglige le fait que le système énergétique est fait d'interactions complexes entre les aspects de l'approvisionnement, de la distribution, de la conversion (du combustible en électricité), et du système d'utilisation. Il aurait pour effet d'augmenter de façon considérable les émissions de dioxyde de carbone, alors que de grandes réductions sont nécessaires.

Plus précisément, le plan ne tient aucun compte du fait que l'efficacité de l'utilisation énergétique des Etats-Unis est toujours très faible, malgré quelques améliorations au cours des 25 dernières années. Si l'on se base sur le second principe de la thermodynamique, l'efficacité de nombreuses parties du système énergétique, tels que l'éclairage et le chauffage, ainsi que les voitures et véhicules loisir/travail (si l'on ne prend en compte que le poids des passagers), se situe dans une fourchette allant de un à dix pour cents.

Le tableau ci-dessus liste certains des critères permettant d'évaluer le Plan Cheney ou tout autre plan énergétique. Il est difficile de trouver un plan qui fasse correspondre les trois derniers critères avec les trois premiers. Par exemple, l'énergie nucléaire crée de grandes quantités de plutonium et utilise des réacteurs qui peuvent connaître des accidents catastrophiques qui pollueraient les terres pour d'innombrables générations. Pour citer un autre exemple, le système énergétique mondial actuel émet plus de 6 milliards de tonnes de carbone (sous la forme de dioxyde de carbone) dans l'atmosphère, mais la capacité naturelle d'absorption est d'environ la moitié de ce chiffre. Ces deux systèmes ne répondent pas au critère du développement durable.

Actuellement, la dépendance mondiale vis-à-vis de la région du Golfe persique a engendré une vulnérabilité aux chocs, et elle n'est pas soutenable non plus. Cette région a été et reste un point névralgique pour les conflits mondiaux pendant plus de la moitié du siècle. L'apport à ce mélange de la région Caspienne, qui fait aussi partie de la politique pétrolière américaine, n'enlève rien au problème, mais risque au contraire d'intensifier les dangers nucléaires, du fait d'un risque accru de confrontation entre les Etats-Unis et la Russie.

Récemment, le système énergétique américain, qui a historiquement répondu au deux premiers critères - fiabilité et coût raisonnable - semble de plus en plus incapable d'y arriver, comme en témoignent les oscillations brutales des prix du gaz naturel et les prix pour le moins déraisonnables de l'électricité que la plupart des Californiens ont dû payer au cours de l'année passée.

Le Plan Cheney ne résoudra aucun de ces problèmes majeurs. Par exemple, la création d'un réseau électrique national pour faciliter la transmission de l'électricité par des producteurs de taille importante ne résoudra pas forcément les problèmes de fiabilité, et pourrait au contraire les aggraver. Une fiabilité médiocre, engendrée par le manque de capacité de réserve, a été la principale cause des problèmes énergétiques de la Californie. La déréglementation a créé une situation dans laquelle les producteurs n'étaient pas tenus de maintenir une capacité de réserve, et les autorités de contrôle n'avaient pas non plus les moyens matériels de le faire.

Un secteur de la production d'électricité qui n'aurait ni entrave ni responsabilité dans la transmission ou (dans la maintenance) d'une capacité de réserve aurait pour effet d'augmenter les prix et serait sujet à des défaillances imprévues. Cela augmenterait également les pertes en ligne, et l'efficacité énergétique serait probablement moins élevée. La fiabilité exige que des producteurs d'énergie privés (et publics) de grande taille aient une responsabilité dans l'approvisionnement et le paiement de la maintenance d'une capacité de réserve, et pour l'acheminement de l'énergie par des voies efficaces, et relativement prévisibles. Une règle de laissez faire pour tous dans la production à grande échelle, dans toute la partie continentale des Etats-Unis, est une recette idéale pour avoir continuellement des problèmes économiques et techniques. Le Plan Cheney ne propose pas d'imposer la moindre règle de bonne conduite aux gros producteurs. Par conséquent, il est improbable qu'il aboutirait à un système fiable avec des coûts raisonnables et prévisibles. La capacité et l'implantation des moyens de transmission, la capacité de réserve et le système de consommation doivent être coordonnés avec la production afin d'obtenir un système fiable dans son ensemble.

Il serait bien plus efficace d'utiliser à la fois des centrales de petite taille qui sont situées à proximité du consommateur, et de les raccorder aux réseaux régionaux qui intègrent aussi des centrales de grande taille. Ce type de système est appelé réseau distribué. On peut raccorder ces réseaux à des systèmes de réseaux régionaux qui existent déjà et n'exigent que des améliorations modestes, comme par exemple entre le nord et le sud de la Californie. Des sources d'énergie renouvelables à grande échelle au niveau régional peuvent s'ajouter à un tel système de réseaux régionaux hybrides. Cela serait à la fois plus fiable et plus cohérent d'un point de vue écologique que la création d'un réseau national.

Le plan Cheney pose la question de la relance du retraitement, de la mise en place de réacteurs à combustible au plutonium, et de la création de nouveaux réacteurs aux Etats-Unis après une interruption d'un quart de siècle. Le retraitement et les réacteurs à combustible au plutonium auraient pour effet de jeter aux orties, sans débat national sérieux, une politique de non-prolifération qui a été maintenue grâce au soutien des deux partis durant le mandat de cinq présidences.

Qui plus est, l'énergie nucléaire est un mauvais choix pour l'avenir pour des raisons qui ont été étudiées en détail dans diverses publications de l'IEER et dans des bulletins précédents. Par exemple, dans "Énergie et Sécurité" n°5, de 1998, l'IEER a publié une comparaison entre l'énergie nucléaire et le gaz naturel comme méthodes permettant de réduire les gaz à effet de serre dans le cas du remplacement d'usines à charbon. Cette comparaison montre que des prix modérés et un approvisionnement adéquat de gaz naturel seraient importants pendant la période de transition vers un système énergétique soutenable à long terme basé seulement sur les sources d'énergie renouvelables. Par conséquent, des augmentations considérables de l'efficacité énergétique du gaz naturel sont essentielles. Il est également probable qu'une production supplémentaire de gaz naturel soit nécessaire. Cela pourrait provenir (i) d'une réduction des pratiques de brûlage du gaz naturel à l'étranger et d'importations de gaz naturel liquide, (ii) d'une augmentation de la production nationale à partir de forages qui ne sont pas des puits de pétrole, et (iii) des importations supplémentaires provenant du Canada et du Mexique.

Le Plan Cheney intensifierait fortement le forage pétrolier, mais il ne résoudrait pas réellement les problèmes de vulnérabilité de l'approvisionnement en pétrole. Même si l'on ajoute aux réserves pétrolières américaines celles qui sont actuellement rentables à environ 15 dollars le baril (17 Euros), celles-ci resteraient bien en dessous du chiffre de 50 milliards de barils. (Les réserves prouvées actuelles sont de 21 milliards de barils, et l'ANWR [les gisements en Alaska] pourrait ajouter jusqu'à 10 milliards à ce total; certaines estimations étant considérablement moins optimistes.)

Les réserves pétrolières prouvées du Moyen Orient dépassent largement les 600 milliards de barils. Un chose encore plus importante est que le coût de la production pétrolière est très différent selon les régions du monde, et qu'il représente un élément central de la rigidité des systèmes actuels. Le coût d'extraction du baril (environ 160 litres)en Arabie saoudite n'est que d'un dollar environ (1,2 Euro). En revanche il se situe entre 10 et 15 dollars (11 et 17 Euros) par baril dans de nombreuses autres régions (notamment les Etats-Unis). La flexibilité de ce système face aux chocs économiques ne peut être améliorée par l'augmentation de l'approvisionnement en pétrole américain à coût relativement élevé, car les chocs causés par une baisse des prix peuvent se produire par de simples augmentations de la production dans des zones à faible coût. Cependant, l'ouverture de l'ANWR permettra probablement d'atteindre un objectif - un bénéfice pour les compagnies pétrolières s'élevant jusqu'à 100 milliards de dollars (112 milliards FRF) au total.8

La sécurité énergétique ne sera pas non plus améliorée de manière sensible. La consommation pétrolière américaine est actuellement d'environ 7,5 milliard de barils par an (soit 20 millions de barils par jour). Si la demande continue de s'accroître au rythme d'un peu plus d'un pour cent par an, les Etats-Unis importeront près des trois quarts de leur pétrole d'ici à vingt ans, même si l'on ouvre l'ANWR et s'il fournit jusqu'à un million de barils par jour. Des tensions se créeront dans le système d'approvisionnement pétrolier mondial à la fois aux niveaux politique, économique et militaire et les émissions de dioxyde de carbone augmenteront. Il ne s'agit pas seulement d'un projet non soutenable, mais d'une recette pour générer des conflits. En d'autres termes, cette politique signifierait selon toute probabilité une aggravation des nombreux conflits qui sont déjà en cours dans les régions du Moyen-Orient, Golfe persique et Asie Centrale.9

Comme nous l'avons fait remarquer plus haut, la technologie permettant de faire passer de 3,9 km à 2,4 litres aux 100 km l'efficacité énergétique des automobiles est déjà développée. La consommation annuelle d'essence peut être réduite à moins de quatre millions de barils par jour dans les quarante prochaines années - à comparer aux 8,5 millions de barils par jour consommés actuellement - si des normes de plus en plus strictes sont imposées selon un calendrier compatible avec les capacités de mise en place de nouvelles technologies par les fabricants automobiles. Cette réduction potentielle prend en compte un doublement du nombre de voiture.kilomètres.

Il serait préférable de modifier les normes CAFE à la fois pour les voitures et les 4x4 plutôt que de taxer l'essence et le diesel, étant donné que le combustible représente une partie relativement petite du coût global du fonctionnement d'une voiture (bien qu'il s'agisse de l'élément le plus visible au quotidien). Une surtaxation de l'essence serait aussi contre productive parce qu'elle affecterait davantage les revenus moyens et les plus pauvres. Pour ces raisons, il serait plus efficace et plus équitable d'atteindre une plus grande efficacité énergétique en exigeant des fabricants automobiles qu'ils adoptent des technologies efficaces.

Les expériences du passé montrent que les fabricants automobiles semblent se souvenir des problèmes de sûreté quand on soulève le problème des normes de consommation, et de la question de la consommation lorsqu'on évoque la réduction des émissions de gaz nocifs, tels que les oxydes d'azote ou les hydrocarbures. Dans la pratique, il a fallu recourir à l'action gouvernementale pour que des normes soient imposées pour les émissions de gaz (autres que le dioxyde de carbone), la consommation et la sûreté. Toutes les trois peuvent et devraient être rendues obligatoires simultanément par le gouvernement. L'établissement largement en avance de normes atteignables aurait aussi pour effet d'encourager la recherche et le développement de nouvelles technologies, comme par exemple de nouveaux matériaux permettant tout à la fois de réduire le poids des voitures et d'augmenter la sécurité.10

Les normes CAFE sont nécessaires pour forcer les fabricants à utiliser la meilleure technologie disponible pour toutes les voitures ou utilitaires légers qu'ils fabriquent et vendent, de la même façon que des lois ont été nécessaires pour les ceintures de sécurité et les airbags. Les normes devraient être mises en place simultanément pour l'efficacité énergétique et la sécurité puisque l'expérience montre que les fabricants sont réticents à intégrer l'une ou l'autre sans pression gouvernementale. Ils semblent se soucier de la sûreté surtout lorsque l'on parle des normes d'efficacité énergétique. Leur résistance actuelle face aux normes de consommation en est un bon exemple.

Pour obtenir des coûts raisonnables pour les technologies respectueuses de l'environnement, il est nécessaire d'abaisser le coût de nombreuses technologies nouvelles. L'approche traditionnelle aux Etats-Unis et dans certains autres pays a été de fournir des subventions et des aides fiscales aux sources d'énergie alternatives. Cette approche est aussi celle qui est mise en avant par le Plan Cheney. Cependant, les aides fiscales et les subventions sont une mauvaise façon d'atteindre un essor durable des sources d'énergies renouvelables et de technologies à haute efficacité énergétique, étant donné qu'elles tendent à verrouiller à long terme des technologies à coût plus élevé et à fournir un encouragement insuffisant à l'investissement pour le développement technologique. De plus, les aides fiscales ne sont pas assez sûres et elles sont trop vulnérables aux changements politiques, ce qui est une source d'incertitudes pour les investisseurs.

Par conséquent, l'IEER recommande, à la place des aides fiscales et subventions accordées pour le développement de nouvelles technologies dans le domaine des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique, que les ressources du gouvernement soient orientées vers l'établissement de politiques d'achats appropriées.11 Si le gouvernement fournissait un marché stable à l'électricité éolienne, à l'énergie solaire, aux voitures répondant aux normes d'efficacité énergétique, et à la production décentralisée dans les bâtiments fédéraux avec une interconnexion obtenue à des prix raisonnables, alors la nature globale du marché serait modifiée dans un sens positif. Des enchères ouvertes chaque année pour la fourniture de tels services auraient pour effet d'encourager la recherche dans le secteur privé et le développement d'investissements visant la réduction des coûts. Le gouvernement fédéral pourrait aussi fournir des aides financières aux États et aux gouvernements locaux choisis à cet effet, comme il le fait dans quantité d'autres cas, par exemple pour la construction d'usines de traitement des eaux usées ou pour des programmes pédagogiques.


Énergie et Sécurité No. 18 Index
Énergie et Sécurité Index
IEER page d'accueil

L'Institut pour la Recherche sur l'Énergie et l'Environnement
Envoyez vos impressions à la rédactrice en chef, Énergie et Sécurité
Takoma Park, Maryland, USA

(La version anglaise de ce numéro, Science for Democratic Action v. 9, no. 4, a été publiée en août 2001.)

Mise en place mars 2002


LES NOTES BAS DE PAGE

1 Michael Klare, Resources Wars : The New Landscape of Global Conflict (New York : Metropolitan Books, 2001).

2 (Soit environ 4346Euros/MWh.)

3 Voir Énergie et Sécurité n°5 (1998) pour un exposé concernant les clauses du Protocole de Kyoto. Voir également l'article de Kevin Gurney sur ce thème, publié dans le même bulletin, pour une étude du problème des gaz à effet de serre.

4 R. Brent Alderfer, M. Monika Eldridge et Thomas J. Starrs, Making Connections : Case Studies of Interconnection Barriers and their Impact on Distributed Power Projects, NREL SR-200-28063 (Golden, Colorado : National Renewable Energy Laboratory, mai 2000, remis à jour en juillet 2000.

5 Note de la traductrice ; norme CAFE : norme réglementant la moyenne de consommation d'essence des voitures pour réduire la dépendance des Etats-Unis du pétrole importé.

6 Committee on the Effectiveness and Impact of Corporate Average Fuel Economy (CAFE) Standards, Effectiveness and Impact of Corporate Average Fuel Economy (CAFE) Standards, (Washington DC : National Academy Press, 2001.)

7 U.S Department of Transportation Bureau of Transportation Statistics, National Transportation Statistics 2000, BTS01-01, (Washington DC : US Government Printing Office, avril 2001), tableau 4-23, consulté sur le site web http://www.bts.gov/ntda/nts/NTS99/data/Chapter4/4-23.html, le 1er août 2001.

8 Sur la base d'un profit de 10 dollars (11 Euros) par baril pour une réserve maximale récupérable d'environ 10 milliards de barils (voir http://geology.cr.usgs.gov/pub/fact-sheets/fs-0028-01).

9 Klare, 2001, op.cit.

10 Pour plus d'informations sur les voitures à haute efficacité énergétique, sur la sûreté et sur les derniers développements techniques, voir par exemple, le site web du Rocky Mountain Institute, www.rmi.org.

11 Cependant, les subventionnements accordés aux installations dans le domaine des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique, qui avaient été prises en compte lors de la conception des projets, devraient être poursuivis afin d'empêcher la fermeture de ces projets.